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de M. Conte. Des jeunes gens, au comble de l’exaspération et crispant leurs doigts à l’angle de leurs gilets, marchaient vivement dans la salle en fredonnant par syllabes saccadées un psaume de lamentations épigrammatiques, dont voici quelques versets

— Que diable ! il y a des noms propres qui ne doivent pas exister

— Eh ! monsieur, ceci est intolérable, quand on a le malheur de se nommer Extarborich, on ne se fait pas adresser des lettres poste restante !

— Moi, si j’avais le tort d’avoir un pareil nom, je me ferais dénommer par M. le garde des sceaux.

L’employé encadra sa figure calme dans le soupirail grillé, en disant aux âmes avec une voix douce : Messieurs, nous devons faire notre service scrupuleusement ; ce que je fais pour ce monsieur, chacun de vous, en pareil cas, voudrait qu’on le fît pour lui.

— Oui, oui, s’écria un jeune homme en ouvrant son gilet à deux battants ; mais nous n’avons pas des noms abominables comme ce monsieur !

— Messieurs, dit l’employé, point de personnalités offensantes. — Et s’adressant à l’infortuné : Monsieur, ajouta-t-il, de quel pays attendez-vous une lettre ?

— De Lavalette, département du Var.

— C’est bien cela ; il n’y a que votre prénom sur l’adresse… Sidoine.

— Mon cousin m’appelle toujours ainsi.

— Il a bien raison le cousin ! dit une voix dans un angle.

Voilà, mon cher Edgard, un échantillon des tortures non classées qu’il me faut subir tous les matins, dans ce bureau d’expiation, avant d’arriver le dernier au sanctuaire de l’employé. Là, je prends une allure insouciante et un accent leste, et je décline avec négligence mon prénom. Ce moment est une chose bien simple, n’est-ce pas ?