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80 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE

Ce livre, en tous cas, comptera sans nul doute parmi les plus beaux, les plus parfaits, les plus émouvants dont il nous ait donné la joie.

Le récit de ce voyage médité dès l'enfance, accompli il y a dix ans, est d'une extraordinaire précision : les impressions, les visions de l'auteur sont notées heure par heure, avec la noble simplicité d'un voyageur qui voit avec une parfaite lucidité, qui ressent profondé- ment, et qui, en se rappelant les merveilles aperçues, les émotions ressenties, atteint, sans le chercher, sans le vouloir, semble-t-il, au plus magnifique lyrisme.

Quelle splendeur, quelle beauté dans le récit de ce voyage de Saigon à Angkor, avec l'arrêt à Pnom-Penh, les femmes poupées, les femmes bibelots entrevues, et la contemplation des ramures pliant sous le poids des graves marabouts.

Et l'arrivée à Angkor ! la ville qui fut une des splen- deurs du monde, aperçue sous le suaire des arbres, ensevelie depuis des siècles, avec l'ombre et la souve- raine oppression de la forêt; — et l'émotion poignante devant le temple colossal et prestigieux, où les hommes ont entassé tant de pierres, accumulé tant de sculptures, prison aérienne du haut de laquelle on domine l'infini de la forêt mouillée.

Dans ce sanctuaire immense, effrayant, prodigieux, le Ramayama s'évoque, l'épopée si ancienne et si nébu- leuse qui continue de planer sur l'imagination de l'Asie et de guider son rêve; la nuit venue, les chauves-souris sèment dans ces solitudes l'épouvante et l'oppression, ce pendant que continue de sourire un Bouddah très gigantesque, dominateur et doux, « la grande Paix obtenue par le grand Renoncement et la grande Pitié ».

La Pitié ! C'est l'ultime leçon de ce pèlerinage, et de toute la carrière du marin et de l'écrivain. « L'heure venue, l'heure crépusculaire où toutes les choses terres- tres s'éloignent, diminuent, s'estompent en grisaille