Page:Godwin - Caleb Williams, II (trad. Pichot).djvu/199

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j’étais la proie. Les déguisements ne pouvaient plus me servir à rien. Dans chaque quartier, dans presque chaque maison de la capitale, combien d’individus se trouvaient excités à jeter un œil attentif et soupçonneux sur tout étranger, et spécialement sur tout étranger solitaire qui pouvait se rencontrer dans leur chemin ! On faisait briller à leurs yeux un prix de cent guinées pour enflammer leur cupidité et aiguiser leur pénétration. Ce n’était plus seulement les limiers de Bow-Street[1], c’était un million d’hommes armés contre moi. Et ce refuge qui reste encore aux plus malheureux, d’avoir quelque ami dans le sein duquel ils déposent leurs alarmes, et qui les mette à l’abri des yeux indiscrets et curieux, ce refuge m’était interdit. Pourrait-on se faire l’idée d’une situation plus horrible ! Mon cœur battait avec une extrême violence ; ma poitrine était étouffée, et je ne respirais qu’à peine. « Il n’y aura donc pas de fin, me disais-je, à la persécution que j’éprouve ! Après tant de fatigues et tant de travaux, aucun terme à mes malheurs ! Le temps, le temps qui guérit tout, ne fait qu’ajouter au désespoir de ma situation ! Ah ! pourquoi m’obstiner davantage dans cette lutte cruelle ? la mort m’offre le moyen d’éluder l’activité de mes persécuteurs. Ensevelissons dans un oubli éternel ma personne et jusqu’aux traces de mon existence, pour ne laisser qu’un doute sans issue à ces barbares, qui ne sauraient renoncer à me poursuivre. »

  1. Bow-Street est la rue de Londres où sont situés les bureaux de police.