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SCÈNE IV.

Comment ai-je pu, par vanité, consentir à cette épreuve ?… Maintenant qui cédera ? Ce n’est pas elle !… Moi ?… Oui !… (Avec sérénité.) Et pourquoi tarde-je encore ? Que la porte s’ouvre ! Que je lui jure à cette femme céleste, que je lui jure, à ses pieds, un amour éternel, en confessant que je ne puis vivre sans elle… Mais que dira-t-on ? On te tiendra pour faible et lâche ; tes amis se railleront de toi… Qu’importe ? Mais, Éléonore, toi-même tu pourrais triompher, me tenir pour vaincu ; tu voudrais dominer, et alors, malheur à moi, si je veux être homme ! Je le puis sans doute. Pourquoi reste-je oisif ? Voici encore assez d’ouvrage. (Il se place devant une table à écrire, il prend la plume ; mais, au lieu d’écrire, il s’abime dans ses pensées.)

Éléonore.

Encore un jour écoulé, et Édouard ne paraît point ! Oh ! quelle peine ! Il m’a oubliée, et il ne peut m’aimer aussi tendrement que je croyais. S’il sentait seulement la moitié de mes souffrances, il se hâterait de perdre la gageure ; je lui serais un riche dédommagement de la vanité blessée. Et qu’est-ce que ce sentiment en comparaison de l’amour brûlant, de la félicité que l’on trouve dans un tendre retour ? Les heures, les jours, passent comme de doux songes. Je me sentais heureuse, lorsque, après avoir mis fin à mes occupations domestiques, j’étais réjouie par son entretien. Père cruel, comment pouvais-tu me rendre si malheureuse par cette épreuve ? Ne valait-il pas mieux souffrir les fiertés d’Édouard ? Maintenant je ne puis faire le premier pas. Le cœur m’y convie, mais la modestie, parure des jeunes filles, le défend, et je dois obéir, souffrir… et combien de temps encore ? (Elle laisse tomber son ouvrage et soupire.)

Édouard, se levant brusquement du pupitre.

Je ne puis écrire. Où trouver des idées et du courage ? Si seulement Jean venait, je pourrais lui parler d’Éléonore ! Sans doute il comprend peu mes sentiments ; mais il est du moins bien disposé, et il révère Éléonore comme une divinité, à l’exemple de tous ceux qui la connaissent. Est-ce lui ? Il me semble l’entendre !

Éléonore, en regardant avec grâce le portefeuille et le pressant sur son cœur.

Oui, voilà le gage de ton amour, voilà ton nom ! Et tu pour-