Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome IV.djvu/86

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mains me ramenèrent mourante ; je revins et je vécus. Avec quel sentiment d’horreur j’entrai dans ma demeure, où la douleur et la peine s’étaient assises au foyer ! L’opulente maison royale me parut comme consumée et ravagée par l’ennemi, et mon affliction est muette encore.

ELPLlNOR.

N’as-tu jamais appris si ce fut un traître, un ennemi, qui accomplit ce forfait ?

ANTIOPE.

Ton père envoya soudain des messagers de toutes parts ; il fit visiter exactement par des gens armés les côtes et les montagnes ; mais ce fut en vain, et, par degrés, à mesure que je guérissais, la douleur se ranimait plus cruelle, et une fureur indomptable s’empara de moi. Je poursuivis le traître avec les armes des faibles : j’invoquai le tonnerre, j’invoquai les flots, j’invoquai les périls, qui, pour causer de grands maux, se glissent sans bruit sur la terre. * 0 dieux, m’écriais-je, prenez, prenez, de vos justes mains, la fatalité, qui, aveuglément et sans loi, se promène sur la mer et la terre, et poussez-la au-devant de lui, où qu’il porte ses pas ! Soit que, la tête couronnée, avec des compagnons joyeux, il revienne d’une fête ; soit que, pesamment chargé de butin, il franchisse le seuil de sa demeure : que la fatalité se présente à lui, l’œil immobile, et le saisisse ! » La malédiction était la voix de mon âme, les imprécations le langage de mes lèvres.

ELPÉNOR.

Oh ! qu’il serait heureux celui à qui les immortels donneraient d’accomplir les vœux ardents de ta colère !

ANTIOPE.

Bien, mon fils ! Apprends encore mon sort en peu de mots, car ce sera le tien. Ton père me reçut bien ; mais je sentis d’abord que je vivais désormais dans ses domaines, et qu’il me fallait être obligée à sa faveur de ce qu’il voulait bien m’accorder ; je ne tardai pas à me rendre ici vers ma mère, et je vécus tranquille auprès d’elle, jusqu’au jour où les dieux l’appelèrent. Alors je devins maîtresse de ce qu’elle-même et mon . père me laissaient. Je cherchai inutilement des nouvelles de mon lils perdu. Combien d’étrangers survinrent et me donnèrent de