Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/14

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des yeux riants, des lèvres vermeilles, des joues où brillaient les roses de la santé. Elle était vive, gaie, amie du plaisir. Avec cela, de l’esprit naturel, un cœur aimant, une grande aptitude pour les soins du ménage. Sous ce rapport, Goethe avait trouvé la femme qu’il lui fallait.

Mais pourquoi ne l’épousa-t-il pas d’abord ? Il avait toujours redouté la chaîne du mariage ; d’ailleurs, la différence des positions était extrême, et elle faisait appréhender cette union à Christiane elle-même. Elle a dit que ce fut sa faute, si le mariage fut différé jusqu’en 1806. Vivre avec Goethe, n’importe à quel titre, était assez pour elle. Ce qu’il y a de certain, c’est que, vers la Noël de 1789, après la naissance de leur premier enfant (Auguste, dont le duc voulut être le parrain), Goethe établit Ghristiane chez lui avec sa sœur et sa tante, et cette liaison fut toujours considérée comme un mariage. « Elle a toujours été ma femme, » dit-il, lorsqu’à la fin il l’épousa. Quoiqu’il en soit, l’opinion fut blessée ; la nation ne pardonnait pas à son grand poète cette infraction aux lois de la société, et les ennemis de Goethe profitèrent de sa faute pour jeter des soupçons sur son caractère moral.

Est-ce trop que de demander aux esprits équitables, pour excuser en quelque mesure cet homme illustre, de prendre en considération son isolement dans la haute position que l’admiration de l’Allemagne lui avait faite ? Il lui fallait une compagne pour tenir sa maison, pour répondre à sou besoin d’aimer ; le hasard l’adresse et l’amour l’enchaine à une femme d’un rang trop inférieur pour que le mariage n’eût pas causé un fâcheux éclat dans le monde où il vivait : entraîné par l’exemple, séduit par l’extrême facilité des mœurs, il contracte, en véritable prince, une sorte d’union morganatique….

Une fois qu’il eut pris cette position irrégulière, il eut du moins le mérite de la garder fidèlement et de finir, bien lard, il est vrai, par où il aurait dû commencer.

La bonne mère de Goethe souffrit doucement cet écart de son illustre fils. Elle aima Christiane, elle la reçut dans sa maison, la traita en belle-fille. Elle lui écrivait des lettres affectueuses, et, mère indulgente, elle ferma toujours l’oreille aux caquets. Son Wolfgang était heureux ; elle prenait son parti du reste.

Enfin, s’il est vrai que ce fut Chrisliane qui inspira les Élégies romaines, les amis de l’excellente poésie auront de la peine à prendre parti contre la femme aux charmes de laquelle ils doivent ces chefs-d’œuvre justement admirés.

Cependant Weimar, qui avait vu sans sourciller la longue liaison