Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/188

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avorta, et, pour ne pas perdre ma peine, j’écrivis une pièce en prose 1, dont les principaux rôles trouvaient leurs analogues dans le personnel du nouveau théâtre, et ces artistes s’acquittèrent de leur tâche dans une représentation très-soignée. Mais la pièce choqua d’autant plus qu’elle fut mieux jouée. Un sujet horrible et absurde à la fois, traité avec audace et sans ménagement, effraya tout le monde ; les cœurs ne répondirent pas ; le modèle, presque contemporain, rendit l’impression encore plus-dure, et, certaines liaisons secrètes se croyant trop peu ménagées, une grande et respectable partie du public fut mécontente : ajoutons que la délicatesse des femmes fut choquée d’une audacieuse aventure d’amour.

J’avais toujours été indifférent à l’effet immédiat de mes ouvrages, et, cette fois encore, je vis sans m’émouvoir que celuici, auquel j’avais consacré tant d’années, n’obtenait aucune approbation. J’éprouvais au contraire à part moi une maligne joie, quand certains hommes, que j’avais vus assez souvent trompés, assuraient hardiment que nul ne pouvait être la dupe d’une si grossière tromperie. Cependant je ne tirai de l’événement aucune leçon. Ce qui occupait mon esprit m’apparaissait toujours sous forme dramatique, et, de même que l’histoire du collier m’avait saisi comme un sombre pressentiment, la Révolution me parut l’accomplissement le plus terrible ; je voyais le trône renversé et brisé, une grande nation jetée hors de ses voies, et, après notre malheureuse campagne, le monde entier bouleversé à son tour. Oppressé de ces tristes pensées, j’avais la douleur d’observer que, dans notre patrie, on jouait avec des sentiments qui nous préparaient le même sort. Je connaissais assez de nobles cœurs qui se livraient dans leurs rêveries à certaines espérances et certaines perspectives, sans comprendre ni ces choses ni eux-mêmes, tandis que des hommes pervers s’efforçaient d’exciter, d’augmenter et de mettre à profit des mécontentements amers.

Comme témoignage de ma gaieté chagrine, je fis jouer le Citoyen général*, et j’y fus entraîné par un acteur nommé Beck, qui représentait avec un talent particulier le rôle de Schnaps dans les


1. Le Grand Cophte, tome III, page 26. —1. Tome III, page 129.