Page:Goethe - Les Affinités électives, Charpentier, 1844.djvu/97

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

agréable de jouer un rôle nouveau. Quiconque connaît le monde, sait que les divers liens sociaux, et surtout ceux du mariage, ne deviennent fatigants et souvent même insupportables, que parce qu’on a eu la folie de vouloir les rendre immuables au milieu du mouvement perpétuel de la vie. Un de mes amis, qui, dans ses moments de gaîté, se pose en législateur et propose des lois nouvelles, prétendit un jour que le mariage ne devrait être valable que pour cinq ans.

« Ce nombre impair et sacré, disait-il, suffit pour apprendre à se connaître, pour donner le jour à deux ou trois enfants, pour se brouiller, et, ce qui est le plus charmant, pour se réconcilier. Les premières années seraient infailliblement heureuses ; si, pendant la dernière, l’amour diminuait chez un des contractants, l’autre, stimulé par la crainte de perdre l’objet de ses affections, redoublerait d’égards et d’amabilité. De pareils procédés touchent et séduisent toujours, et l’on oublierait, au milieu de ce charmant petit commerce, l’époque fixée pour la résiliation du contrat d’association, comme on oublie dans une bonne société l’heure à laquelle on s’était promis de se retirer. Je suis persuadé qu’on ne s’apercevrait de cet oubli qu’avec un sentiment de bonheur, parce qu’il aurait tacitement renouvelé le contrat. »

Ces paroles qui, sous les apparences d’une plaisanterie gracieuse, agitaient une haute question morale, inquiétèrent Charlotte par rapport à Ottilie. Elle savait que rien n’est plus dangereux pour une jeune fille que des conversations dans lesquelles on regarde comme peu importantes, et parfois même comme louables, les actions qui blessent les principes et les conventions regardées, plus ou moins justement, comme sacrées et inviolables ;