Page:Gogol - Nouvelles de Pétersbourg (extraits Le Portrait ; Le Nez), 1998.djvu/19

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cri discordant ? Ou peut-être, si l’on se montre indifférent, insensible envers son sujet, le rend-on nécessairement dans sa seule et odieuse réalité, sans que l’illumine la clarté de cette pensée impossible à saisir mais qui n’en est pas moins latente au fond de tout ; et il apparaît alors sous cet aspect qui se présente à quiconque, avide de comprendre la beauté d’un être humain, s’arme du bistouri pour le disséquer et ne découvre qu’un spectacle hideux ? Pourquoi, chez tel peintre, la simple, la vile nature s’auréole-t-elle de clarté, pourquoi vous procure-t-elle une jouissance exquise, comme si tout autour de vous coulait et se mouvait suivant un rythme plus égal, plus paisible ? Pourquoi, chez tel autre, qui lui a été tout aussi fidèle, cette même nature semble-t-elle abjecte et sordide ? La faute en est au manque de lumière. Le plus merveilleux paysage paraît lui aussi incomplet quand le soleil ne l’illumine point. »

Tchartkov s’approcha encore une fois du portrait pour examiner ces yeux extraordinaires et s’aperçut non sans effroi qu’ils le regardaient. Ce n’était plus là une copie de la nature, mais bien la vie étrange dont aurait pu s’animer le visage d’un cadavre sorti du tombeau. Était-ce un effet de la clarté lunaire, cette messagère du délire qui donne à toutes choses un aspect irréel ? Je ne sais, mais il éprouva un malaise soudain à se trouver seul dans la pièce. Il s’éloigna lentement du portrait, se détourna, s’efforça de ne plus le regarder, mais, malgré qu’il en eût, son œil, impuissant à s’en détacher, louchait sans cesse de ce côté. Finalement, il eut même peur d’arpenter ainsi la pièce : il croyait