Page:Gogol - Nouvelles de Pétersbourg (extraits Le Portrait ; Le Nez), 1998.djvu/30

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son imagination. Il en vint à se croire devant un cas de ce genre : sans doute quelque aïeul avait-il imaginé de laisser à son petit-fils ce cadeau, enclos dans le cadre d’un portrait de famille ? Emporté par un délire romanesque, il se demanda même s’il n’y avait pas là un rapport secret avec son propre destin : l’existence du portrait n’était-elle pas liée à la sienne, et son acquisition prédestinée ? Il examina très attentivement le cadre : une rainure avait été pratiquée sur l’un des côtés, puis recouverte d’une planchette, mais avec tant d’adresse et de façon si peu visible que, n’était la grosse patte du commissaire, les ducats y auraient reposé jusqu’à la consommation des siècles. Sa vue s’étant, du cadre, reportée sur le tableau, il en admira une fois de plus la superbe facture, et, singulièrement, l’extraordinaire fini des yeux : il les regardait maintenant sans crainte, mais toujours avec un certain malaise.

« Allons, se dit-il, de qui que tu sois l’aïeul, je te mettrai sous verre et, en échange de CECI, je te donnerai un beau cadre doré. »

Ce disant, il laissa tomber sa main sur le tas d’or étalé devant lui ; son cœur précipita ses battements.

« Qu’en faire ? se demandait-il en le couvant du regard. Voilà ma vie assurée pour trois ans au moins. J’ai de quoi acheter des couleurs, payer mon dîner, mon thé, mon entretien, mon logement. Je puis m’enfermer dans mon atelier et y travailler tranquillement ; nul ne viendra plus m’importuner. Je vais faire l’emplette d’un excellent mannequin, me commander un torse