Page:Gogol - Nouvelles de Pétersbourg (extraits Le Portrait ; Le Nez), 1998.djvu/31

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de plâtre et y modeler des jambes, cela me fera une Vénus, acheter enfin des gravures d’après les meilleurs tableaux. Si je travaille trois ans sans me dépêcher, sans songer à la vente, je les enfoncerai tous et pourrai devenir un bon peintre. »

Voilà ce que lui dictait la raison, mais au fond de lui-même s’élevait une voix plus puissante. Et quand il eut jeté un nouveau regard sur le tas d’or, ses vingt-deux ans, son ardente jeunesse lui tinrent un bien autre langage. Tout ce qu’il avait contemplé jusqu’alors avec des yeux envieux, tout ce qu’il avait admiré de loin, l’eau à la bouche, se trouvait maintenant à sa portée. Ah, comme son cœur ardent se mit à battre dès que cette pensée lui vint ! S’habiller à la dernière mode, faire bombance après ces longs jours de jeûne, louer un bel appartement, aller tout de suite au théâtre, au café, au… Il avait déjà sauté sur son or et se trouvait dans la rue.

Il entra tout d’abord chez un tailleur et une fois vêtu de neuf des pieds à la tête, ne cessa plus de s’admirer comme un enfant. Il loua sans marchander le premier appartement qui se trouva libre sur la Perspective, un appartement magnifique avec de grands trumeaux et des vitres d’un seul carreau. Il acheta des parfums, des pommades, une lorgnette fort coûteuse dont il n’avait que faire et beaucoup plus de cravates qu’il n’en avait besoin. Il se fit friser par un coiffeur, parcourut deux fois la ville en landau sans la moindre nécessité, se bourra de bonbons dans une confiserie, et s’en alla dîner chez un traiteur français, sur lequel il avait jusqu’alors des notions aussi vagues que sur