Page:Gogol - Nouvelles de Pétersbourg (extraits Le Portrait ; Le Nez), 1998.djvu/38

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

– Rien qu’une petite minute ! » implora Tchartkov, d’une voix naïve, enfantine.

Mais la dame ne paraissait nullement disposée à satisfaire, ce jour-là, les exigences artistiques de son peintre ; elle lui promit, en revanche, de rester davantage une autre fois.

« C’est bien ennuyeux, se dit Tchartkov, ma main commençait à se dégourdir ! » Il se souvint que, dans son atelier de l’île Basile, personne n’interrompait son travail : Nikita gardait la pose indéfiniment et s’endormait même dans cette position. Il abandonna, tout dépité, son pinceau, sa palette, et se figea dans la contemplation de sa toile.

Un compliment de la grande dame le tira de cette rêverie. Il se précipita pour accompagner les visiteuses jusqu’à la porte de la maison ; sur l’escalier il fut autorisé à les venir voir, prié à dîner pour la semaine suivante. Il rentra chez lui tout rasséréné, entièrement captivé par les charmes de la grande dame. Jusqu’alors il avait jugé ces êtres-là inaccessibles, uniquement créés et mis au monde pour rouler dans de belles voitures, avec cochers et valets de pied de grand style, et n’accordant aux pauvres piétons que des regards indifférents. Et voilà qu’une de ces nobles créatures avait pénétré chez lui pour lui commander le portrait de sa fille et l’inviter dans son aristocratique demeure. Une joie délirante l’envahit ; pour fêter ce grand événement, il s’offrit un bon dîner, passa la soirée au spectacle et parcourut de nouveau la ville en landau, toujours sans la moindre nécessité.

Les jours suivants, il ne parvint pas à s’intéresser à ses travaux en cours. Il ne faisait que se préparer,