Page:Gogol - Nouvelles de Pétersbourg (extraits Le Portrait ; Le Nez), 1998.djvu/39

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qu’attendre le moment où l’on sonnerait à la porte. Enfin la grande dame et sa pâle enfant arrivèrent. Il les fit asseoir, avança la toile – avec adresse cette fois et des prétentions à l’élégance – et se mit à peindre. La journée ensoleillée, le vif éclairage lui permirent d’apercevoir sur son fragile modèle certains détails qui, traduits sur la toile, donneraient une grande valeur au portrait. Il comprit que, s’il arrivait à les reproduire avec la même perfection que les lui offrait la nature, il ferait quelque chose d’extraordinaire. Son cœur commença même à battre légèrement quand il sentit qu’il allait exprimer ce dont nul avant lui ne s’était encore aperçu. Tout à son art, il oublia de nouveau la noble origine de son modèle. À voir si bien rendus par son pinceau ces traits délicats, cette chair exquise, quasi diaphane, il se sentait défaillir. Il tâchait de saisir la moindre nuance, un léger reflet jaune, une tache bleuâtre à peine visible sous les yeux et copiait déjà un petit bouton poussé sur le front, quand il entendit au-dessus de lui la voix de la maman :

« Eh non, voyons… Pourquoi cela ? C’est inutile… Et puis il me semble qu’à certains endroits vous avez fait… un peu jaune… Et ici, tenez, on dirait de petites taches sombres. »

Le peintre voulut expliquer que précisément ces taches et ces reflets jaunes mettaient en valeur l’agréable et tendre coloris du visage. Il lui fut répondu qu’elles ne mettaient rien du tout en valeur, que c’était là une illusion de sa part.

« Permettez-moi pourtant une légère touche de jaune, une seule, ici tenez », insista le naïf Tchartkov.