Page:Gogol - Nouvelles de Pétersbourg (extraits Le Portrait ; Le Nez), 1998.djvu/40

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On ne lui permit même pas cela. Il lui fut déclaré que Lise n’était pas très bien disposée ce jour-là, que d’habitude son visage, d’une fraîcheur surprenante, n’offrait pas la moindre trace de jaune.

Bon gré mal gré, Tchartkov dut effacer ce que son pinceau avait fait naître sur la toile. Bien des traits presque invisibles disparurent et avec eux s’évanouit une partie de la ressemblance. Il se mit à donner machinalement au tableau cette note uniforme qui se peint de mémoire et transforme les portraits d’êtres vivants en figures froidement irréelles, semblables à des modèles de dessin. Mais la disparition des tons déplaisants satisfit pleinement la noble dame. Elle marqua toutefois sa surprise de voir le travail traîner si longtemps : M. Tchartkov, lui avait-on dit, terminait ses portraits en deux séances.

L’artiste ne trouva rien à lui répondre. Il déposa son pinceau et, quand il eut accompagné ces dames jusqu’à la porte, demeura longtemps, immobile et songeur, devant sa toile.

Il revoyait avec une douleur stupide les nuances légères, les tons vaporeux qu’il avait saisis puis effacés d’un pinceau impitoyable. Plein de ces impressions, il écarta le portrait, alla chercher une tête de Psyché, qu’il avait naguère ébauchée puis abandonnée dans un coin. C’était une figure dessinée avec art, mais froide, banale, conventionnelle. Il la reprit maintenant dans le dessein d’y fixer les traits qu’il avait pu observer sur son aristocratique visiteuse, et qui se pressaient en foule dans sa mémoire. Il réussit en effet à les y transposer sous cette forme épurée que leur