Page:Gogol - Nouvelles de Pétersbourg (extraits Le Portrait ; Le Nez), 1998.djvu/41

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donnent les grands artistes, alors qu’imprégnés de la nature ils s’en éloignent pour la recréer. Psyché parut s’animer : ce qui n’était qu’une implacable abstraction se transforma peu à peu en un corps vivant ; les traits de la jeune mondaine lui furent involontairement communiqués et elle acquit de ce fait cette expression particulière qui donne à l’œuvre d’art un cachet d’indéniable originalité.

Tout en utilisant les détails, Tchartkov semblait avoir réussi à dégager le caractère général de son modèle. Son travail le passionnait ; il s’y consacra entièrement durant plusieurs jours et les deux dames l’y surprirent. Avant qu’il eût eu le temps d’éloigner son tableau, elles battirent des mains, poussèrent des cris joyeux.

« Lise, Lise, ah, que c’est ressemblant ! Superbe, superbe ! Quelle bonne idée vous avez eue de l’habiller d’un costume grec ! Ah quelle surprise ! »

Le peintre ne savait comment les tirer de cette agréable erreur. Mal à l’aise, baissant les yeux, il murmura :

« C’est Psyché.

– Psyché ! Ah ! charmant ! dit la mère en le gratifiant d’un sourire que la fille imita aussitôt. N’est-ce pas, Lise, tu ne saurais être mieux qu’en Psyché ? Quelle idée délicieuse ! Mais quel art ! On dirait un Corrège. J’ai beaucoup entendu parler de vous. J’ai lu bien des choses sur votre compte, mais, vous l’avouerai-je ? je ne vous savais pas un pareil talent. Allons, il faut que vous fassiez aussi mon portrait. »

Évidemment la bonne dame se voyait, elle aussi, sous les traits de quelque Psyché.