Page:Gogol - Nouvelles de Pétersbourg (extraits Le Portrait ; Le Nez), 1998.djvu/43

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à satisfaire, des gens pressés, fort occupés, ou des mondains, c’est-à-dire encore plus occupés que les autres et par conséquent très impatients. Tous tenaient à un travail rapide et bien fait. Tchartkov comprit que dans ces conditions il ne pouvait rechercher le fini ; la prestesse du pinceau devait lui tenir lieu de toute autre qualité. Il suffisait de saisir l’ensemble, l’expression générale, sans vouloir approfondir les détails, poursuivre la nature jusqu’en son intime perfection. En outre, chacun – ou presque chacun – de ses modèles avait ses prétentions particulières. Les dames demandaient que le portrait rendît avant tout l’âme et le caractère, le reste devant être parfois complètement négligé ; que les angles fussent tous arrondis, les défauts atténués, voire supprimés ; bref, que le visage, s’il ne pouvait provoquer des coups de foudre, inspirât tout au moins l’admiration. Aussi prenaient-elles en s’installant pour la pose des expressions bien faites pour déconcerter Tchartkov : l’une jouait la rêveuse, l’autre la mélancolique ; pour amenuiser sa bouche, une troisième se pinçait les lèvres jusqu’à donner l’illusion d’un point gros comme une tête d’épingle. Elles ne laissaient pas pour autant d’exiger de lui la ressemblance, le naturel, l’absence d’apprêts.

Les hommes ne le cédaient en rien au sexe faible. Celui-ci voulait se voir rendu avec un port de tête énergique, celui-là avec les yeux levés au ciel d’un air inspiré. Un lieutenant de la garde désirait que son regard fît songer à Mars ; un fonctionnaire, que son visage exprimât au plus haut degré la noblesse jointe à la droiture ; sa main