Page:Gogol - Nouvelles de Pétersbourg (extraits Le Portrait ; Le Nez), 1998.djvu/49

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reste. Visiteur inlassable des musées, il passait des heures entières devant les œuvres des grands peintres, acharné à poursuivre le secret de leur pinceau. Il ne terminait rien sans s’être confié à ces maîtres, sans avoir tiré de leurs ouvrages un conseil éloquent encore que muet. Il se tenait à l’écart des discussions orageuses et ne prenait parti ni pour ni contre les puristes. Comme il ne s’attachait qu’aux qualités, il savait rendre justice à chacun, mais finalement il ne garda qu’un seul maître, le divin Raphaël – tel ce grand poète qui après avoir lu bien des ouvrages exquis ou grandioses, choisit comme livre de chevet la seule Iliade, pour avoir découvert qu’elle renferme tout ce qu’on peut désirer, que tout s’y trouve évoqué avec la plus sublime perfection.

Quand Tchartkov arriva à l’Académie, il trouva réunis devant le tableau une foule de curieux qui observaient un silence pénétré, fort insolite en pareille occurrence. Il s’empressa de prendre une mine grave de connaisseur et s’approcha de la toile. Dieu du ciel, quelle surprise l’attendait !

L’œuvre du peintre s’offrait à lui avec l’adorable pureté d’une fiancée. Innocente et divine comme le génie, elle planait au-dessus de tout. On eût dit que, surprises par tant de regards fixés sur elles, ces figures célestes baissaient modestement leurs paupières. L’étonnement béat des connaisseurs devant ce chef-d’œuvre d’un inconnu était pleinement justifié. Toutes les qualités semblaient ici réunies : si la noblesse hautaine des poses révélait l’étude approfondie de Raphaël et la perfection du pinceau, celle du Corrège, la puissance créatrice