Page:Gogol - Nouvelles de Pétersbourg (extraits Le Portrait ; Le Nez), 1998.djvu/52

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Exaspéré par cet insuccès, il fit emporter toutes ses œuvres récentes, les gravures de modes, les portraits de hussards, de dames, de conseillers d’État ; puis, après avoir donné ordre de n’y laisser entrer personne, il s’enferma dans son atelier et se replongea dans le travail. Mais il eut beau déployer le patient acharnement d’un jeune apprenti, tout ce qui naissait sous son pinceau était irrémédiablement manqué. À tout instant son ignorance des principes les plus élémentaires le paralysait ; le simple métier glaçait sa verve, opposait à son imagination une barrière infranchissable. Son pinceau revenait invariablement aux formes apprises, les mains se joignaient dans un geste familier, la tête se refusait à toute pose insolite, les plis des vêtements eux-mêmes ne voulaient point se draper sur des corps aux attitudes conventionnelles. Tout cela, Tchartkov ne le sentait, ne le voyait que trop.

« Ai-je jamais eu du talent ? finit-il par se dire. Ne me serais-je point trompé ? »

Voulant en avoir le cœur net, il alla droit à ses premiers ouvrages, ces tableaux qu’il avait peints avec tant d’amour et de désintéressement là-bas dans son misérable taudis de l’île Basile, loin des hommes, loin du luxe, loin de tout raffinement. Tandis qu’il les étudiait attentivement, sa pauvre vie d’autrefois ressuscitait devant lui. « Oui, décida-t-il avec désespoir, j’ai eu du talent ; on en voit partout les preuves et les traces ! »

Il s’arrêta soudain, tremblant de tout le corps : ses yeux venaient de croiser un regard immobile fixé sur lui. C’était le portrait extraordinaire, jadis