Page:Gogol - Nouvelles de Pétersbourg (extraits Le Portrait ; Le Nez), 1998.djvu/70

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« C’est le diable, le diable incarné ! » Mais il est grand temps de vous faire connaître mon père, le véritable héros de mon récit, soit dit entre parenthèses. C’était un homme remarquable sous bien des rapports ; un artiste comme il y en a peu ; un de ces phénomènes comme seule la Russie en fait sortir de son sein encore vierge ; un autodidacte qui, animé par l’unique désir du perfectionnement, était parvenu, sans maître, en dehors de toute école, à trouver en lui-même ses règles et ses lois et suivait, pour des raisons peut-être insoupçonnées, la voie que lui traçait son cœur ; un de ces prodiges spontanés que leurs contemporains traitent souvent d’ignorants, mais qui jusque dans les échecs et les railleries savent puiser de nouvelles forces et s’élèvent rapidement au-dessus des œuvres qui leur avaient valu cette peu flatteuse épithète. Un noble instinct lui faisait sentir dans chaque objet la présence d’une pensée. Il découvrit tout seul le sens exact de cette expression : « la peinture d’histoire ». Il devina pourquoi on peut donner ce nom à un portrait, à une simple tête de Raphaël, de Léonard, du Titien ou du Corrège, tandis qu’une immense toile au sujet tiré de l’histoire, demeure cependant un tableau de genre, malgré toutes les prétentions du peintre à un art historique. Ses convictions, son sens intime orientèrent son pinceau vers les sujets religieux, ce degré suprême du sublime. Ni ambitieux, ni irritable, à l’encontre de beaucoup d’artistes, c’était un homme ferme, intègre, droit et même fruste, recouvert d’une carapace un peu rugueuse, non dénué d’une certaine fierté intérieure,