Page:Gogol - Nouvelles de Pétersbourg (extraits Le Portrait ; Le Nez), 1998.djvu/9

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à qui elles pouvaient bien être utiles. « Que le peuple russe se complaise à reluquer Iérouslane Lazarévitch[1], l’Ivrogne et le Glouton, Thomas et Jérémie et autres sujets pleinement à sa portée, passe encore ! se disait-il. Mais qui diantre peut acheter ces abominables croûtes, paysanneries flamandes, paysages bariolés de rouge et de bleu, qui soulignent, hélas, le profond avilissement de cet art dont elles prétendent relever ? Si encore c’étaient là les essais d’un pinceau enfantin, autodidacte ! Quelque vive promesse trancherait sans doute sur le morne ensemble caricatural. Mais on ne voit ici qu’hébétude, impuissance, et cette sénile incapacité qui prétend s’immiscer parmi les arts au lieu de prendre rang parmi les métiers les plus bas ; elle demeure fidèle à sa vocation en introduisant le métier dans l’art même. On reconnaît sur toutes ces toiles les couleurs, la facture, la main lourde d’un artisan, celle d’un grossier automate plutôt que d’un être humain. »

Tout en rêvant devant ces barbouillages, Tchartkov avait fini par les oublier. Il ne s’apercevait même pas que depuis un bon moment le boutiquier, un petit bonhomme en manteau de frise dont la barbe datait du dimanche, discourait, bonimentait, fixait des prix sans s’inquiéter le moins du monde des goûts et des intentions de sa pratique.

« C’est comme je vous le dis : vingt-cinq roubles pour ces gentils paysans et ce charmant petit paysage. Quelle peinture, monsieur, elle vous crève l’œil tout simplement ! Je viens de les recevoir de la salle des ventes… Ou encore cet Hiver, prenez-le

  1. Héros d’un autre conte populaire, emprunté à la Perse, le Roustem des légendes orientales. Les sujets mentionnés ensuite sont empruntés à des contes moraux ou satiriques importés de l’Occident (Note du traducteur.)