Page:Gogol - Nouvelles de Pétersbourg (extraits Le Portrait ; Le Nez), 1998.djvu/80

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animait les yeux, déjà ouverts sur l’avenir, de l’Enfant-Dieu ; le silence solennel des Rois mages prosternés, confondus par le grand mystère ; la sainte, l’indescriptible paix qui enveloppait le tableau ; cette sereine beauté, cette grandiose harmonie produisaient un effet magique. Toute la communauté tomba à genoux devant la nouvelle image sainte, et, dans son attendrissement, le supérieur s’écria :

« – Non, l’homme ne peut créer une pareille œuvre avec le seul secours de l’art humain ! Une force sainte a guidé ton pinceau, le Ciel a béni tes labeurs. »

» Je venais précisément de terminer mes études ; la médaille d’or obtenue à l’École des Beaux-Arts m’ouvrait l’agréable perspective d’un voyage en Italie, le plus beau rêve pour un peintre de vingt ans. Il ne me restait plus qu’à prendre congé de mon père ; je ne l’avais pas revu depuis douze ans et j’avoue que son image même s’était effacée de ma mémoire. Vaguement instruit de ses austérités, je m’attendais à lui trouver le rude aspect d’un ascète, étranger à tout au monde, sauf à sa cellule et à la prière, desséché, épuisé par le jeûne et les veilles. Quelle ne fut pas ma stupéfaction quand je me trouvai en présence d’un vieillard très beau, presque divin ! Une joie céleste illuminait son visage, où l’épuisement n’avait point marqué sa flétrissure. Sa barbe de neige, sa chevelure légère, quasi aérienne, du même ton argenté, se répandaient pittoresquement sur ses épaules, sur les plis de son froc noir, et tombaient jusqu’à la corde qui ceignait son pauvre habit monastique. Mais