Page:Gogol - Nouvelles de Pétersbourg (extraits Le Portrait ; Le Nez), 1998.djvu/81

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ce qui me surprit le plus, ce fut de l’entendre prononcer des paroles, émettre des pensées sur l’art qui se sont à jamais gravées dans ma mémoire et dont je voudrais voir chacun de mes confrères tirer profit à son tour.

« – Je t’attendais, mon fils, me dit-il quand je m’inclinai pour recevoir sa bénédiction. Voici que s’ouvre devant toi la route où ta vie va désormais s’engager. C’est une noble voie, ne t’en écarte pas. Tu as du talent ; le talent est le don le plus précieux du ciel ; ne le dilapide point. Scrute, étudie tout ce que tu verras, soumets tout à ton pinceau ; mais sache trouver le sens profond des choses, essaie de pénétrer le grand secret de la création. Heureux l’élu qui le possède : pour lui il n’est plus rien de vulgaire dans la nature. L’artiste créateur est aussi grand dans les sujets infimes que dans les sujets les plus élevés ; ce qui fut vil ne l’est plus grâce à lui, car sa belle âme transparaît à travers l’objet bas, et pour avoir été purifié en passant par elle, cet objet acquiert une noble expression… Si l’art est au-dessus de tout, c’est que l’homme trouve en lui comme un avant-goût du Paradis. La création l’emporte mille et mille fois sur la destruction, une noble sérénité sur les vaines agitations du monde ; par la seule innocence de son âme radieuse un ange domine les orgueilleuses, les incalculables légions de Satan ; de même l’œuvre d’art surpasse de beaucoup toutes les choses d’ici-bas. Sacrifie tout à l’art ; aime-le passionnément, mais d’une passion tranquille, éthérée, dégagée des concupiscences terrestres ; sans elle, en effet, l’homme ne peut s’élever au-dessus de la terre, ni