Page:Gogol - Nouvelles de Pétersbourg (extraits Le Portrait ; Le Nez), 1998.djvu/90

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de connaissance, qui lui demandaient dès l’abord : « Où cours-tu comme ça ? » ou bien : « Qui t’en vas-tu barbifier de si bonne heure ? » Il ne parvenait pas à saisir l’instant propice. Une fois pourtant, il crut s’être débarrassé de son paquet, mais un garde de ville le lui désigna du bout de sa hallebarde en disant :

« Eh, là-bas, le particulier, faudrait voir à relever ça, hein ? »

Force fut bien à Ivan Yakovlévitch de ramasser le nez et de le fourrer dans sa poche. Le désespoir le gagnait, car les boutiques s’ouvraient et les passants se faisaient de plus en plus nombreux.

Il décida de gagner le pont Saint-Isaac dans l’espoir de jeter à la Néva son encombrant fardeau.

Mais je me repens de n’avoir donné aucun détail sur Ivan Yakovlévitch, personnage fort honorable sous beaucoup de rapports.

Comme tout artisan russe qui se respecte, Ivan Yakovlévitch était un ivrogne fieffé ; et bien qu’il rasât tous les jours le menton d’autrui, le sien demeurait éternellement broussailleux. La couleur de son habit – Ivan Yakovlévitch ne portait jamais de surtout – rappelait celle des chevaux rouans : à vrai dire, cet habit était noir, mais entièrement pommelé de taches grises et brunâtres ; le col luisait ; trois bouts de fil pendaient à la place des boutons absents. Quand il se confiait aux soins de notre barbier, l’assesseur de collège Kovaliov avait coutume de lui dire : « Sapristi, Ivan Yakovlévitch, que tes mains sentent mauvais ! – Pourquoi voulez-vous qu’elles sentent mauvais ? répliquait Ivan Yakovlévitch. – Je n’en sais rien, mon cher,