Page:Goldsmith - Le Vicaire.djvu/130

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c’est un excellent marché, mon enfant, que celui où on nous dit ce qui nous manque, et où, quand il nous manque, on nous le fournit.

— Oui, père, et je ne connais en Europe que deux de ces marchés aux femmes ! le Ranelagh, en Angleterre, et Fontarabie, en Espagne. Le marché espagnol ne tient qu’une fois par an ; mais nos femmes anglaises sont en vente tous les soirs.

— Tu as raison, mon enfant, répondit sa mère ; la vieille Angleterre est, dans ce monde, le pays qui convient le mieux aux maris pour prendre femme… — Et aux femmes, répondis-je, pour mener leurs maris. Si on jetait un pont sur la mer, toutes les femmes du continent le passeraient pour prendre exemple des nôtres ; c’est un proverbe outre-mer ; et, au fait, il n’y a pas, en Europe, de femmes comme les nôtres… Mais, allons, Déborah, une seconde bouteille ! ma chère ; et toi, Moïse, une bonne chanson ! Que de grâces nous devons au ciel qui nous donne repos, santé, aisance ! Moi, je me trouve, en ce moment, plus heureux que le premier potentat de la terre ; il n’a pas un coin de feu comme celui-ci, entouré de charmantes figures qui font plaisir à regarder. Nous nous faisons vieux, Déborah ! mais le soir de notre vie sera, je crois, heureux. Descendus d’aïeux sans reproches, nous laisserons, après nous, une bonne et vertueuse lignée ; vivants, elle sera notre soutien et notre joie ; morts, elle transmettra, sans tache, notre honneur à la postérité. Eh bien ! mon fils, nous attendons une chanson. Allons, tous en chœur ! Mais où est donc ma chère Olivia ? sa petite voix de chérubin est toujours la plus douce dans le concert !… »

Au même instant, Dick entra en courant : « Père ! père ! elle est partie ! elle est partie !… sœur Livy est partie pour toujours. — Partie ! mon enfant ! — Oui, partie avec deux gentlemen dans une chaise de poste ! et l’un l’a embrassée et lui a dit qu’il mourrait pour elle ; et elle a beaucoup crié, elle !… et elle a voulu revenir ; mais il l’a une seconde