Page:Goldsmith - Le Vicaire.djvu/131

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fois décidée, et elle est montée dans la chaise, et elle a dit : « Mon pauvre père !… Oh ! que deviendra-t-il quand il va me savoir perdue ! » — Ah ! mes enfants, m’écriai-je ; malheur, malheur à nous ! car pour nous désormais pas une heure de joie !… Oh ! puisse la colère du ciel être à tout jamais sur lui et sur son complice ! Me ravir ainsi mon enfant ! Bien sûr, il sera puni de m’avoir enlevé cette chère innocente que je menais au ciel !… Mon enfant ! elle… si naïve ! Oui ! c’est fait de notre bonheur sur la terre. Oui, mes enfants : misère, infamie pour nous ! Je sens mon cœur brisé… — Père ! dit mon fils, est-ce là votre courage ? — Du courage ! mon enfant, oh ! il verra que j’ai du courage ! Mes pistolets !… Je veux le poursuivre ; je le poursuivrai tant qu’il sera sur la terre. Tout vieux que je suis, il verra, le perfide ! que je puis encore l’atteindre… Le scélérat ! oh ! le scélérat ! »

En même temps j’avais saisi mes pistolets, quand ma pauvre femme, dont les passions n’étaient pas aussi violentes que les miennes, me serrant dans ses bras : « Cher époux ! cher époux ! me dit-elle, la Bible est la seule arme qui convienne à votre main affaiblie par l’âge ; ouvrez ce saint livre, mon ami ; cherchons-y la force contre nos tourments ; car elle nous a indignement trompés !… — Oui, père, reprit mon fils après une pause, votre fureur va trop loin. Vous devriez consoler ma mère, et c’est vous qui augmentez sa douleur. Il est mal à vous, mal à votre vénérable caractère, de maudire ainsi votre plus grand ennemi ; vous n’auriez pas dû le maudire, tout infâme qu’il est ! — Je ne l’ai pas maudit, mon enfant : l’ai-je maudit ? — Oui, vous l’avez maudit, et maudit deux fois. — Eh bien ! que le ciel me pardonne et à lui aussi, si je l’ai maudit. Ô mon fils, je le sens en ce moment, elle était plus qu’humaine cette bonté qui, la première, nous a appris à bénir nos ennemis. Béni soit son saint nom pour tout le bien qu’elle m’a donné et pour tout celui qu’elle m’a repris !… Mais ce n’est pas, oh ! ce n’est pas une faible douleur que