Page:Goldsmith - Le Vicaire.djvu/157

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royaume ! Bien sûr, nul ne peut sonder les profondeurs d’un pareil génie… Je m’abîmais dans ces réflexions, quand j’entendis quelqu’un s’approcher d’un pas grave. — Ah ! voici le grand homme en personne. — Non : ce n’était qu’une femme de chambre. D’autres pas se firent entendre. — Ce doit être lui ! — Non : ce n’était que le valet de chambre du grand homme. À la fin, Sa Seigneurie parut. « Est-ce vous, me dit-elle, qui êtes le porteur de la lettre que voici ? » Je m’inclinai. « Elle m’apprend que… » Au même instant, un laquais lui remit un billet ; sans autre explication, Sa Seigneurie sortit de la pièce en me laissant ruminer à loisir mon bonheur, et il ne fut plus question d’elle jusqu’au moment où un valet de pied vint me dire que Sa Seigneurie allait monter dans son carrosse qui était à la porte de l’hôtel. Je descendis lestement derrière elle, et joignis ma voix à celle de deux ou trois autres solliciteurs venus, comme moi, pour implorer une faveur. Sa Seigneurie allait beaucoup trop vite pour nous, et gagnait, à grands pas, la portière de son carrosse, quand je haussai la voix pour savoir si j’aurais une réponse. Sa Seigneurie, pendant ce temps, était montée en voiture, et murmura quelques mots, dont moitié arriva à mon oreille, et moitié se perdit dans le bruit des roues du carrosse. Je restai un moment le cou tendu, dans l’attitude d’un homme qui écoute pour recueillir les précieuses paroles, jusqu’à ce que, regardant autour de moi, je me trouvai tout seul à la porte de Sa Seigneurie.

« Ma patience était à bout. Furieux des mille indignités que je venais de subir, j’étais bien résolu d’en finir, et je ne demandais plus que l’abîme pour m’y précipiter ; je me regardais comme un de ces êtres de rebut que la nature destine à être rejetés dans son immense capharnaüm, pour y périr dans l’obscurité. Toutefois, il me restait encore une demi-guinée. — La fortune elle-même, me disais-je, ne peut me la reprendre ; mais, pour m’en bien assurer, allons la