Page:Goldsmith - Le Vicaire.djvu/206

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À ces mots, je les quittai et descendis à la salle commune où je trouvai les détenus d’une gaieté folle, et attendant tous mon arrivée avec autant de niches de prison à faire au docteur. Par exemple, au moment où j’allais commencer, l’un fit faire, comme par mégarde, un demi-tour à ma perruque, et me demanda pardon. Un second, placé à quelque distance, me lança adroitement, à travers ses dents, un jet de salive qui retomba en pluie sur mon livre. Un troisième me cria amen sur un ton dont l’étrangeté excita l’hilarité générale. Un quatrième m’enleva habilement mes lunettes de ma poche. Mais, de toutes ces espiègleries, la plus universellement goûtée fut celle-ci : remarquant la manière dont j’avais disposé mes livres sur la table placée devant moi, un de mes auditeurs en escamota un avec une merveilleuse dextérité, et y substitua un livre obscène à lui. Pas de méchancetés dont de pareils écoliers ne fussent capables ; je n’y fis aucune attention, bien convaincu que ce qu’il y avait de risible dans ma tentative amuserait tout au plus la première ou la seconde fois, mais que ce qu’il y avait de sérieux resterait. Ce système me réussit : en moins de six jours, quelques-uns se repentaient, tous étaient attentifs.

Alors surtout je m’applaudis de ma persévérance et de mon adresse ; je venais de réveiller la sensibilité chez des malheureux qui avaient dépouillé tout sentiment moral ; je voulus y joindre le bienfait d’un peu d’amélioration à leur existence matérielle. Jusque-là, tout leur temps s’était partagé entre la faim et les excès, entre les plaisirs tumultueux et l’amer repentir. Leur unique occupation était de se quereller les uns les autres, de jouer aux cartes et de tailler des fouloirs de pipe. Cette distraction de la fainéantise me donna l’idée d’occuper ceux qui voudraient travailler à faire des chevilles pour les fabricants de tabac et les cordonniers. Le bois nécessaire s’achetait par souscription, et, quand on l’avait mis en œuvre, j’étais chargé de la vente, qui, tous les jours, donnait à chacun