Page:Goldsmith - Le Vicaire.djvu/59

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dans la vie, peut avoir ses jouissances particulières : si chaque matinée nous réveillait pour la reprise de nos travaux, chaque soirée nous en dédommageait par un gai loisir.

Vers le commencement de l’automne, un jour de fête (j’observais toutes les fêtes comme d’utiles intervalles de repos), j’avais conduit ma famille au lieu habituel de nos récréations, et nos jeunes musiciennes avaient commencé leur concert accoutumé : nous étions fort attentifs… Soudain un cerf bondit brusquement à vingt pas environ du banc où nous étions assis ; il était haletant et semblait serré de près par les chasseurs. Nous n’avions eu qu’un instant pour songer à la détresse de ce pauvre animal, quand nous vîmes, à quelque distance, les chiens et les piqueurs accourant sur sa piste en empaumant sa voie. J’allais, sur-le-champ, rentrer avec ma famille ; mais la curiosité, la surprise, ou un motif plus caché, retinrent ma femme et mes filles. Le chasseur qui galopait en tête passa près de nous très-rapidement, suivi de quatre ou cinq personnes qui semblaient aussi pressées que lui ; puis un jeune gentleman, de meilleure mine que le reste, survint, nous regarda un moment, s’arrêta court au lieu de rejoindre la chasse, et, donnant son cheval à un domestique qui suivait, s’approcha de nous avec cet air d’aisance que donne la supériorité. Sans paraître tenir à se faire annoncer, il alla tout droit à mes filles pour les embrasser, en homme qui comptait sur un favorable accueil. Mais de bonne heure elles avaient appris à déconcerter, d’un regard, la présomption. Sur ce, il nous apprit qu’il avait nom Thornhill, qu’il était propriétaire de la terre dont nous étions entourés à une assez grande distance ; il s’avança de nouveau pour embrasser la partie féminine de la famille, et telle est la magie de la fortune et d’un bel habit, qu’il n’éprouva pas un second refus.

Son abord, quoique avantageux, était d’ailleurs bienveillant : nous ne tardâmes pas à être plus à notre aise, et, apercevant la guitare sur le gazon, il pria qu’on lui fit l’honneur de lui chanter quoi que ce fût.