Page:Goldsmith - Le Vicaire.djvu/8

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la création a tous les prestiges qui l’embellissaient quand elle sortit des mains de Dieu, le présent toutes les illusions de la jeunesse du monde, et l’avenir toutes les illusions du présent. Sa vue ne se repaît que de délicieuses merveilles ; son oreille n’est ouverte qu’à d’ineffables mélodies ; son cœur est, comme celui du juste, une fête perpétuelle ; et quels vains soucis pourraient en altérer jamais la sérénité ? Si la société s’ébranle, il demande un asile à la nature ; si la terre menace ruine, il se réfugie dans l’infini ; car l’espace qui contient tous les mondes est soumis à son imagination. La providence du poëte, qui lui a souvent refusé un domaine de quelques arpents, lui a donné l’univers. Seigneur suzerain de tout ce qui existe, parce qu’il sait jouir de toutes choses ; indifférent à toutes les vicissitudes, parce qu’il n’a point de bail avec le temps ; subissant la mauvaise fortune, comme si elle était toujours près de finir, et se confiant à la bonne, comme si elle devait durer toujours, son séjour parmi les vivants est un rêve volontaire, dont il modifie à son gré les riants caprices, et qui ne s’interrompt un moment, au bruissement de la multitude, que pour se renouer avec plus de grâce et d’harmonie à des songes nouveaux. Aucune richesse ne le tente, aucune ambition ne le séduit ; car il plane bien au-dessus de toutes les ambitions et de toutes les richesses. La gloire elle-même n’aurait qu’un faible attrait pour lui, si elle n’avait quelque chose de vague et d’imaginaire comme le reste de ses fantaisies, et si le but le plus flatteur des espérances qu’elle donne n’était pas placé hors de la vie positive, dans l’émotion d’un cœur encore inanimé,