Page:Goldsmith - Le Vicaire.djvu/9

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

où son nom ira vibrer peut-être, dans les sympathies d’un peuple qui ne sera peut-être point. Vous ne le verrez pas se mêler des intérêts matériels de la foule, et se débattre dans le réseau mystique des disputes humaines, comme un papillon aux ailes d’or, tombé dans une toile d’araignée ; ce qu’il lui faut, comme à l’aigle sur son rocher, comme au lion dans son désert, c’est l’espace, la retraite et le silence. Le hasard et la nécessité peuvent lui ravir une solitude ; mais il sait se faire une solitude partout, et le consentement universel des hommes n’engagerait point sa liberté. Voilà le poëte !

Je me suis dit souvent que si j’avais, par bonheur, ce qu’il faut d’esprit pour composer un roman, et ce qu’il faut de temps pour l’écrire, je me garderais bien de faire un roman, imitation plus ou moins exagérée des événements communs de la vie de tout le monde, qui n’est propre qu’à intéresser des esprits sans culture et sans élévation. Rien n’est plus fait pour rapetisser les idées de l’homme sur l’homme que cette peinture, trop fidèle jusque dans ses mensonges, des ridicules et des travers de la civilisation. C’est pourquoi les anciens, qui avaient un sentiment bien plus exalté que nous de la dignité de l’espèce, ont à peine connu le roman, ou ne l’ont inventé qu’en désespoir du passé, pour amuser les loisirs honteux de leur décadence. Siècle de romans, siècle de corruption et de ruine. Il n’appartient qu’à la puissance d’un grand talent d’employer cette forme étroite et bourgeoise, dans l’absence des formes déchues, pour restituer de hautes notions morales qui risquent de se perdre à jamais : c’est le roman de Goldsmith et d’un très-petit nombre d’autres.