Page:Goncourt - Germinie Lacerteux, 1889.djvu/115

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s’acheter. — Ç’a été le fauteuil, tout ça, vois-tu… mais il est tout crin…

Et comme Jupillon restait devant elle avec l’air d’un homme embarrassé qui cherche les phrases d’un remerciement :

— Mais tu es tout drôle… Qu’est-ce que tu as ?… Ah ! c’est pour ça ?… Et elle lui montra la chambre. — T’es bête !… je t’aime, n’est-ce pas ? Eh bien ?

Germinie dit cela simplement, comme le cœur dit les choses sublimes.


XIX.


Elle devint enceinte.

D’abord elle douta, elle n’osait le croire. Puis, quand elle fut certaine d’être grosse, une immense joie la remplit, une joie qui lui noya l’âme. Son bonheur fut si grand et si fort qu’il étouffa d’un seul coup les angoisses, les craintes, le tremblement de pensées qui se mêle d’ordinaire à la maternité des femmes non mariées et leur empoisonne l’attente de l’enfantement, la divine espérance vivante et remuante en elles. L’idée du scandale de sa liaison découverte, de l’éclat de sa faute dans le quartier, l’idée de cette chose abominable qui l’avait fait toujours penser au suicide : le déshonneur, même la peur de se voir découverte