Page:Goncourt - Germinie Lacerteux, 1889.djvu/116

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par mademoiselle, d’être chassée par elle, rien de tout cela ne put toucher à sa félicité. Comme si elle l’eût déjà soulevé dans ses bras devant elle, l’enfant qu’elle attendait ne lui laissait rien voir que lui ; et se cachant à peine, elle portait presque fièrement, sous les regards de la rue, sa honte de femme dans l’orgueil et le rayonnement de la mère qu’elle allait être.

Elle se désolait seulement d’avoir dépensé toutes ses économies, d’être sans argent et en avance de plusieurs mois sur ses gages avec sa maîtresse. Elle regrettait amèrement d’être pauvre pour recevoir son enfant. Souvent, en passant rue Saint-Lazare, elle s’arrêtait devant un magasin de blanc à l’étalage duquel étaient exposées des layettes d’enfants riches. Elle dévorait des yeux tout ce joli linge ouvragé et coquet, les bavettes de piqué, la longue robe à courte taille garnie de broderies anglaises, toute cette toilette de chérubin et de poupée. Une terrible envie, l’envie d’une femme grosse, la prenait de briser la glace et de voler tout cela ; derrière l’échafaudage de l’étalage, les commis habitués à la voir stationner se la montraient en riant.

Puis encore par instants, dans ce bonheur qui l’inondait, dans ce ravissement de joie qui soulevait tout son être, une inquiétude la traversait. Elle se demandait comment le père accepterait son enfant. Deux ou trois fois, elle avait voulu lui annoncer sa grossesse, et n’avait pas osé. Enfin un jour, lui