Page:Goncourt - Germinie Lacerteux, 1889.djvu/84

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santé la remplir, et il lui passait des joies de vivre qui battaient des ailes dans sa poitrine comme un oiseau dans du soleil.

Une merveilleuse animation lui était venue. La misérable énergie nerveuse qui la soutenait avait fait place à une activité bien portante, à une allégresse bruyante, remuante, débordante. Elle ne connaissait plus ses anciennes faiblesses, l’accablement, la prostration, l’assoupissement, les molles paresses. Ses matins si lourds et si engourdis étaient aujourd’hui des réveils vifs et clairs qui s’ouvraient en une seconde à la gaieté du jour. Elle s’habillait en hâte, folâtrement ; ses doigts prestes allaient tout seuls, et elle s’étonnait d’être si vive, si pleine d’entrain à ces heures défaillantes de l’avant-déjeuner où elle s’était senti si souvent le cœur sur les lèvres. Et toute la journée c’était en elle la même bonne humeur du corps, la même gaieté dans le mouvement. Il lui fallait toujours aller, marcher, courir, agir, se dépenser. Par instant, ce qu’elle avait vécu lui paraissait éteint ; les sensations d’être qu’elle avait éprouvées jusque-là se reculaient pour elle dans le lointain d’un songe et dans le fond d’une mémoire endormie. Le passé était derrière elle, comme si elle l’avait traversé avec le voile d’un évanouissement et l’inconscience d’une somnambule. C’était la première fois qu’elle avait le sentiment, l’impression à la fois âpre et douce, violente et divine, du jeu de la vie éclatant dans sa plénitude, sa régularité, sa puissance.