Page:Goncourt - Journal, t3, 1888.djvu/121

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de la verdure de printemps, des villages qui ont l’air d’être bâtis avec une boue d’or.

Quand on regarde ce pays, sa surface vous paraît trop heureuse et trop égayée, pour produire un talent tourmenté et nerveux : le talent moderne. Il ne peut pousser ici, qu’un blagueur comme Méry ou un talent clair et plat comme Thiers[1]. Jamais ici il ne poussera du Hugo ou du Michelet.

5 avril. — Sur le Pausilippe. De ma cabine je regarde bêtement par l’œil rond, par le hublot du bateau, l’échevèlement éternel des vagues, où dedans parfois, un petit bateau s’encadrant dans cette grosse lentille, semble une marine peinte sur un galet de cristal.

Sur le pont, il y a des enrôlés dans les zouaves pontificaux, des Belges surtout, de pauvres jeunes gens, aux mines hâves, dont quelques-uns lisent, sur des cordages, des livres de piété, à tranches dorées : enrôlés de misère que le mal de mer ne rend pas jaunes, mais terreux.

5 avril. — L’homme du gouvernail, accoudé à cette roue déroulant l’immensité des mers, et tournant autour du monde, — une main morte sur le cuivre de la roue, l’autre tenant un de ses montants ; — cet

  1. Depuis Daudet et Zola se sont chargés de donner un démenti à ma note.