Page:Goncourt - Journal, t3, 1888.djvu/122

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homme à la figure tannée, boucanée par le vent salin, sa toque de marin sur la tête, et sa robuste silhouette se détachant sur un ciel qui se perd dans une clarté mourante de feu de Bengale, ponctué du vol noir de quatre ou cinq mouettes, cet homme ayant derrière lui la barque de sauvetage. Quel superbe et simple frontispice pour un livre de voyage !

La mère de Napoléon n’est dans l’histoire que le ventre qui l’a porté. Pareille à la femme de la Fable, elle fit le rêve d’être accouchée de la foudre — et ce fut toute sa vie.

6 avril. — Civita Vecchia.

Dix heures du matin… Enfin des rues tortueuses, des carrefours, des marchés sales, vivaces, grouillants, une population habillée de taches, des bâtisses de raccroc, du pittoresque, de l’artistique, — une ville sans édilité, avec des coulées de picturales ordures.

J’éprouve une singulière impression, mes yeux sont heureux, je me sens en rupture de ban avec cette France américaine, avec ce Paris au cordeau de maintenant.

Allant au hasard, je tombe sur un morceau de grille rousse, pareil à un soupirail de maladrerie du moyen âge. Soudain, d’un des petits carrés de fer treillissé, sort au bout d’un bâton une pochette en loques, avec une voix d’imploration qui me jette : Monsu, Monsu… C’est un prisonnier, — car c’est la prison,