Page:Goncourt - Journal, t3, 1888.djvu/166

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ce Sainte-Beuve a été l’écrivain qui, en 1852, pendant la terreur blanche de l’écriture littéraire, lors de notre poursuite en police correctionnelle, lors de la poursuite de Flaubert, en ce temps du silence, de la servitude universelle, a été, on peut le dire, le souteneur autorisé du régime. Et ce serait amusant de rappeler que c’est l’émargement qui a été son illumination et sa conversion à la liberté, et que son courage ne lui est venu qu’avec son traitement d’inamovible et ces palmes de sénateur, gagnées à servir avec de la mauvaise foi de prêtre, toutes les viles rancunes du 2 décembre.

En sortant de chez Sainte-Beuve, nous entrons chez Michelet. Nous le trouvons assis sur son petit canapé, les mains sur les cuisses, dans une pose d’idole, avec un sourire extatique sur la figure.

Il nous parle de Rousseau qu’il nous dit n’avoir fait quelque chose, que parce qu’il ne pouvait, un moment, ni avancer ni reculer, qu’il était réduit au désespoir. Ainsi de Mirabeau… Et il se met à nous faire une loi providentielle de ces extrémités du destin des grands hommes, de ce cul-de-sac de malheur, où ils sont obligés de se jeter à la mer. Il termine en disant : « Il y a un joli mot d’émigrant là-dessus : il faut arriver en Amérique noyé sur une planche, l’homme qui y débarque avec une malle n’y fait rien. »

13 août. — Saint-Gratien.

Une journée splendide et torride. On dresse la