Page:Goncourt - Journal, t3, 1888.djvu/196

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Dans le salon énorme, dans la cheminée gigantesque, pas de feu, rien que la chaleur d’un calorifère qui s’allume. La Païva n’aime pas le feu. Elle arrive bientôt, ruisselante d’émeraudes sur la chair de ses épaules et de ses bras : « Ah ! je suis encore un peu bleue… c’est que je viens de me faire coiffer par ma femme de chambre, les fenêtres toutes grandes ouvertes, » dit-elle. Cette femme est bâtie d’une manière toute spéciale. Par ce temps, elle vit dans l’eau et l’air glacés, à la façon d’une espèce de monstre boréal, inventé par la mythologie scandinave.

Toujours la même, désagréable, antipathique, coupante et blessante dans la contradiction.

À table, la Païva expose une théorie de la volonté à faire peur… et que tout arrive par la volonté… et qu’il n’y a pas de circonstances… et qu’on les fait quand on veut… et que les malheureux ne le sont, que parce qu’ils ne veulent plus l’être. Alors sur les effets de la concentration du vouloir qu’apporte, à l’appui de la thèse de la maîtresse de la maison, Taine, — qui débute aujourd’hui — et qui nécessairement cite Newton, se vouant pour ses découvertes pendant des années à une telle concentration de pensées et de méditations qu’il en resta, un temps, presque idiot, la Païva cite l’exemple d’une femme qui, pour accomplir une chose qu’elle ne dévoile pas, resta trois ans enfermée, retranchée du monde, touchant à peine au manger, dont il fallait la faire souvenir, murée en elle-même, et toute à la combinaison de