Page:Goncourt - Journal, t3, 1888.djvu/202

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Impossible, à table, de boire un verre d’eau rougie, parce que la maîtresse a eu la fantaisie d’avoir, pour carafes, des cathédrales de cristal qu’il faudrait des porteurs d’eau pour soulever. Dans la serre où l’on fume après dîner, on est gelé par des courants d’air venant de la couverture, ou étouffé par les bouffées de chaleur des bouches du calorifère. Et à peu près ainsi de tout. Il y a un thé splendide, mais demandez n’importe quoi absent du programme, c’est un aria pire que dans la plus petite et la plus pauvre maison.

Et Gautier dans ce logis inhospitalier de tous les côtés, près de cette femme s’en reculant bourgeoisement, de crainte que son cigare ne brûle sa robe, Gautier sème intarissablement les paradoxes, les propos élevés, les pensées originales, les fantaisies rares. Quel causeur, — bien, bien supérieur à ses livres, quelque valeur qu’ils aient, — et toujours dans la parole au delà de ce qu’il écrit. Quel régal pour les artistes que cette langue au double timbre, et qui mêle souvent les deux notes de Rabelais et de Henri Heine : de l’énormité grasse ou de la tendre mélancolie.

Il parlait, ce soir, de l’ennui, de l’ennui qui le ronge… et il en parlait, comme le poète et le coloriste de l’ennui.

— Un critique juge toujours un peu avec le public : il accepte l’opinion plutôt qu’il ne la donne.