Page:Goncourt - Journal, t3, 1888.djvu/281

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Et la mélancolie de l’heure de cinq heures, du jour s’éteignant, de la menace de l’isolement de sa soirée, amenait aux lèvres de Sainte-Beuve une plainte, à voix basse, sur toutes les privations dont il souffrait, sur l’impossibilité du déplacement qui vous mêle à vos semblables, à la société, impossibilité qui vous désintéresse de l’action et du monde.

Il nous retraçait, comme dans une causerie, tisonnant devant un feu mort, ces jours succédant aux jours, et où il s’éveillait encore le matin avec un peu d’illusion, puis, dans le milieu du jour, encore un rien intéressé par le travail, par quelques restes de fidélités d’amis, et après, plus rien… « Ah ! l’existence, voyez-vous, cette existence-là, non… la vie pour moi n’est plus qu’un mur nu… il y faut des tentures, des agréments… » et son petit geste dessinait dans le vide, des regrets de choses.

La nuit tombait doucement, et la parole du vieillard devenait, de plus en plus, une parole de clair-obscur, une parole s’approchant du grand silence.

— Ce soir, le petit cousin donne, pour la pousse de ses moustaches, ce qu’on appelle une petite fête, chez Voisin. Deux énormes bouquets de violettes sur la cheminée. Donc deux dames qui arrivent bientôt. C’est la***, une de ces hétaïres à huit ressorts, à cinq chevaux dans l’écurie, à maison montée, de ces filles entretenues à trois cent mille francs par an, et qui ont toujours besoin de cinq louis : une blonde Alsacienne