Page:Goncourt - Journal, t3, 1888.djvu/294

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servi à tuer la femme, une expression indéfinissable d’un œil qui se voile sous des cils d’albinos : expression sournoise d’un regard clignotant qui regarde, sans vouloir voir.

Quand le président lui dit de raconter la scène du crime, il passe la main sur son front, une rougeur colore, un instant, son visage terne et gris, et après quelques mouvements nerveux d’épaules, il crache par terre, s’essuie les lèvres avec son mouchoir, puis commence par des mots ânonnants, se repasse encore la main sur la figure, et rouvre une bouche où, sous l’émotion, sa voix s’étrangle… Puis soudain il se met à raconter, et comme si, au récit de l’assassinat, sa fièvre homicide le reprenait, il répète dans le vide la mimique de son crime, d’un geste en avant terrible et superbe ! « Elle n’est pas tombée, dit-il, quand je l’ai frappée… je l’ai retenue ! »

Pendant les dépositions, il ne laisse voir de lui, baissé derrière la barrière, que le bout de ses doigts sur son front et dans ses cheveux. Un moment seulement, à l’interrogation du président, lui disant : « Vous avez joué le soir, suivant un témoin, avec une chance incroyable ? — Oui, avec une chance incroyable, » répète-t-il sur un ton singulier, et comme s’il lui semblait que le crime fût un porte-bonheur pour le jeu.

L’une des dépositions tombe dans le silence ému de l’auditoire, celle de sa maîtresse, une pauvre et laide actrice du théâtre des Batignolles, toute maigriotte dans sa petite robe noire des répétitions,