Page:Goncourt - Journal, t3, 1888.djvu/316

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sont encore fatigants par un continuel, perpétuel, inlassable partage de leur métier, et de ce grand moi collectif, qui est l’armée, et toujours l’armée.

— Il y a au bout de la table d’hôte, une mère qui vient de perdre un fils de vingt ans. Elle est là, avec sa douleur, sa chair pâle, décolorée, crucifiée, deux grands plis amers aux coins de la bouche. Le vague de ses yeux semble, par moments, se lever au plafond, comme au ciel. Ses gestes sont des gestes de rêve, et ses lèvres très souvent oublient de boire au verre, qui touche ses dents… On dirait que c’est un chef-d’œuvre du chagrin !

20 juin. — En montant à Gergovie dans le déroulement tournant des montagnes et des horizons, le général Bataille nous raconte son enfance, les misères de sa jeunesse et sa difficile fortune.

Fils d’un capitaine de l’Empire, et d’une mère ruinée par des procès de famille, il se trouvait avoir sept ans, après la mort de son père, lorsque le comte de Clermont-Tonnerre, le ministre de la guerre d’alors, s’étant arrêté au Bourg-d’Oisans, se prit d’intérêt pour le jeune enfant qu’il était, et trois ans après, envoya à sa mère une bourse pour le collège de la Flèche. Il fallait 1,500 francs pour le trousseau. Un frère de sa mère, qui les lui devait, les promet et ne les donne pas. La pauvre mère, en pleurs, raconte