Page:Goncourt - Journal, t3, 1888.djvu/342

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gence, l’ironie, cette fine et joliment méchante mine de l’esprit, je vois se glisser, minute par minute, le masque hagard de l’imbécillité… Je souffre, je souffre, je crois, comme il n’a été donné à aucun être aimant de souffrir !

Presque jamais on n’a de réponse à la question qu’on lui fait. Lui demande-t-on : pourquoi il est si triste ? Il vous répond : « Eh ! bien, je lirai ce soir du Chateaubriand. » Lire tout haut les Mémoires d’outre-tombe, c’est son idée fixe, sa manie ; il m’en persécute, du matin au soir, — et il faut que ma figure ait l’air d’écouter.

Peu à peu il se dépouille de l’affectuosité, il se déshumanise ; les autres commencent à ne plus compter pour lui, — et recommence en lui, le féroce égoïsme de l’enfant.

Il a une formule désespérante, quand, prenant un volume au hasard, il tombe sur un des siens. Il dit : « C’était bien fait ! » Il ne dira jamais : « C’est bien fait ! » Il y a, dans ce cruel imparfait, la froide reconnaissance que le littérateur est à jamais mort.

16 avril. — Il n’a pas assez de son mal ; à chaque