Page:Goncourt - Journal, t3, 1888.djvu/357

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où il se cachait comme d’une apparition obstinément installée dans le fond de ses rideaux, et contre laquelle s’animait l’incohérence de sa parole : apparition qu’il désignait d’un doigt effrayé, et à laquelle il cria une fois très distinctement : « Va-t’en !… » C’étaient des flux de phrases tronquées, dites avec l’air de tête, le ton ironique, le mépris d’intelligence hautaine, l’espèce d’indignation qui lui était particulière, quand il entendait une bêtise, ou l’éloge de quelque chose d’inférieur… Parfois, dans l’incessante agitation de la fièvre et du délire, il répétait toutes les actions de sa vie, indiquant le geste de mettre son lorgnon, soulevant ces haltères dont je le fatiguais pendant les derniers mois, faisant enfin son métier, faisant le simulacre d’écrire.

Il y avait de rapides instants, où ses yeux errants, courants, s’arrêtaient sur mes yeux, sur ceux de Pélagie, et semblaient nous reconnaître par un regard, une seconde, obstinément fixé sur nous, avec un sourire effacé de la physionomie… mais bien vite ils étaient emportés vers les visions terribles ou riantes.

Hier soir, Beni-Barde m’a dit que c’était fini, qu’une désagrégation du cerveau avait eu lieu à la base du crâne, derrière la tête, qu’il n’y avait plus à conserver aucun espoir… Après cela, mais je n’écoutais plus, je crois qu’il m’a parlé de nerfs lésés dans la poitrine par cette désagrégation, et d’une phtisie foudroyante qui devait suivre… Mon orgueil, l’orgueil que j’avais pour nous deux, me disait le jour