Page:Goncourt - Journal, t3, 1888.djvu/370

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10 heures. — Au jardin je me cogne contre deux croque-morts, assis sur des morceaux de bois noir, au milieu de grands chandeliers d’église, incendiés de soleil.

La bière descend les marches de l’escalier, où, sans le lui laisser voir, j’ai si souvent rattrapé, par derrière, l’équilibre de ses pas trébuchants.

Parmi les gens qui attendent dans le jardin, il y a un vieillard que je ne connais pas. Je lui fais demander son nom. Il me fait répondre qu’il est Ravaut. Ravaut c’est tout un monde de souvenirs. Ravaut est l’antique cocher de mes vieilles cousines de Villedeuil : brave homme, qui, il y a près de trente ans, — et je ne l’avais pas revu depuis ce temps, — faisait le bonheur de mon Jules, en le prenant à côté de lui sur son siège, et lui mettant les rênes de ses chevaux, entre ses petites mains.

En dépit de tout ce que mes yeux voient, de tout ce que mes sens touchent de l’affreuse réalité, l’idée de la séparation éternelle ne peut s’asseoir dans ma cervelle. L’impitoyable « Jamais » ne peut faire partie permanente de ma pensée.

Je ne sais, tout ce qui se passe autour de moi,