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pour ombre : un bouledogue. Un bourgeois râblé et enrichi, qui a essayé, assez intelligemment, de s’anoblir avec une collection, des goûts artistes, une liaison avec Jules Dupré.

Il commence à me montrer ses tableaux, à distance, sur un ton pincé, suffisant, supérieur… quand arrive Dupré, qui allume familièrement une pipe, se met à décrocher ses tableaux, et me les fait passer sous les yeux, sans me dissimuler ses admirations pour ses enfants, me disant de celui-ci : « Oh ! c’est un des plus cuits ! » Puis jetant des mots, des interrogations, des théories, me disant que tous ces tons sont en rapport avec l’or de son cadre, et s’interrompant pour me demander si j’ai lu Fréron… Décousu, sans ordre dans ses pensées se suivant à la diable, et soudain s’animant, et ses yeux bleus, comme vides, se remplissant d’une lumière soudaine, et criant que le gouvernement doit encourager l’art et jamais les artistes… qu’il fait tous ses tableaux si vrais, au bout de la brosse, que la nature en face est trop écrasante… qu’il n’expose plus, parce que les tableaux comme les siens, sont tués par les tableaux à sujets, les tableaux qui se racontent.

Il y a à la fois de l’apôtre, de l’ouvrier et du toqué, chez le grand paysagiste.

16 juillet. — Trouville.

Un joli décor pour une conversation d’amour que la terrasse du Casino à neuf heures.