Page:Goncourt - Journal, t3, 1888.djvu/89

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion

Et Renan, l’imaginative échauffée, et cherchant l’esquisse colorée d’un tout vivant, après de profondes fouilles dans son cerveau, et à la suite d’un long silence prometteur d’un accouchement de génie ; Renan, le plus sérieusement et le plus religieusement du monde, arrive à comparer, devant la table béante son Dieu à lui… devinez à quoi… à une huître et à son existence végétative… Oh ! une huître très grand modèle.

Sur la comparaison, la table part d’un énorme éclat de rire, auquel, après un moment de stupéfaction de ce qu’il a été amené à dire, Renan s’associe gentiment au rire général.

Je ne sais si c’est ce rire homérique qui fait penser à Homère, en tout cas Homère est sur le tapis. Alors chez tous ces destructeurs de foi, ces démolisseurs de Dieu, éclate une dégoûtante latrie. Tous ces critiques s’écrient d’une seule voix qu’il y a eu un temps, un pays, une œuvre au commencement de l’humanité, où tout a été divinisé, et au-dessus de toute discussion et même de tout examen.

Et les voilà à se pâmer sur les mots.

— Des oiseaux aux longues queues ! crie Taine avec enthousiasme.

— La mer invendangeable, la mer où il n’y a pas de raisin, est-ce assez beau ? fait de sa petite voix qui s’enfle, Sainte-Beuve.

— Au fait, vous savez, ça n’a aucun sens, jette Renan, il y a une société d’Allemands qui a trouvé un autre sens.