Page:Goncourt - Journal, t3, 1888.djvu/90

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— Et c’est ? interroge Sainte-Beuve.

— Je ne me rappelle plus, dit Renan, mais c’est admirable.

— Eh bien ! qu’en dites-vous, là-bas, nous lance Taine, vous qui avez écrit que l’antiquité avait été faite pour être le pain des professeurs ?

Je ne voulais pas parler, parce que je ne me souciais pas que la scène d’un récent dîner recommençât, mais un peu asticoté par les uns et par les autres, je pris la voix la plus douce pour affirmer que j’avais plus de plaisir à lire Hugo qu’Homère, essayant cette fois de parer les foudres de Saint-Victor avec le nom d’Hugo.

À ce blasphème Saint-Victor, devenu positivement fou furieux, se remet à hurler avec sa voix de zinc et ses cris d’aliénés, que c’est trop fort, que c’est impossible à entendre, que nous insultons la religion de tous les gens intelligents.

Je commence à répondre que c’est bien singulier, qu’à une table où on admet la discussion de toute chose au monde, je n’aie pas le droit de dire mon opinion sur Homère.

Saint-Victor crie et s’emporte. Alors je me mets à crier et à m’emporter plus fort que lui, avec tout le soulèvement des nerfs que je commence à éprouver pour cet homme de talent, mais sans opinion à lui, et toujours l’humble serviteur d’une opinion consacrée, et dont la voix baisse et dont la colère prend des tons pleurards, quand il rencontre un caractère qui montre les dents.