Page:Goncourt - Journal, t7, 1894.djvu/145

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Lundi 31 mai. — La comparaison que Daudet emploie, en parlant de ses mains à son réveil, et qu’il dit semblables à des feuilles sèches, tant la contracture les a recroquevillées, cette comparaison me trotte, toute la journée, dans la cervelle. Il me parle aussi de l’espèce de vacillement, que le bromure apporte à sa mémoire, le forçant, dit-il, de se raccrocher à des jambages de souvenirs ; et à ce propos, il émet une observation curieuse, il affirme que la lutte de Flaubert avec les mots, a dû venir de la masse énorme de bromure qu’il avait absorbée.

Mercredi 9 juin. — Visite aujourd’hui de Mme ***, cette jeune fille que j’ai eu la velléité d’épouser, en sortant du collège, et que j’ai rencontrée, une seule fois, dans ma vie, une vingtaine d’années après, dans un petit chemin de Bellevue, un jour que mon frère et moi, nous allions voir Banville, à la maison de santé du docteur Fleury. Elle est veuve, a une fille de trente ans, qui vient me demander de faire passer dans un journal, une petite nouvelle. Et nous parlons de la maison de la rue Franklin, et de la maison au grand jardin, de l’allée des Veuves, et nous causons des morts et des mortes autour de nous.

Quant à mon ancienne adorée, c’est une bien portante bourgeoise, aux yeux noirs d’Espagnole encore pleins de jeunesse, aux dents éclatantes, et portant joyeusement et gaillardement ses années.