Page:Goncourt - Les Frères Zemganno, 1879.djvu/46

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Le trombone était un pauvre diable, vivant dans une de ces misères des professions infimes de l’art si profondes, que ses plus extravagants désirs n’allaient pas au delà de la conquête, sur sa pauvre paye, d’une demi-tasse accompagnée d’un petit verre. C’était là le nec plus ultra de ses ambitions. Eh bien, cet artiste si peu argenté, et dont la personnalité était faite de l’absence de chemises, et de vêtements où il y avait encore plus de graisse que de laine feutrisée, et de souliers dont les semelles disjointes et transversées de gros clous lui donnaient l’air de marcher sur des mâchoires de requins entrebâillées, cet homme si profondément misérable était heureux. Il était en amicale liaison avec un être aimé qui le payait de retour et lui faisait tout oublier, jusqu’aux méchancetés noires du pitre. Il vivait dans l’intimité de la caniche de la troupe, qui, à la suite d’une maladie ressemblant fort à la maladie d’un cerveau humain, avait des ab-