Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/113

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

XIX


Par trois fois déjà, elle avait demandé l’autorisation de voir Pavel ; chaque fois, elle avait essuyé un refus bienveillant de la part du général de gendarmerie, vieillard à cheveux blancs, aux joues écarlates et au grand nez.

— Dans une semaine, bonne femme, pas avant ! Nous verrons cela dans une semaine… aujourd’hui, c’est impossible…

Il était rond et replet et rappelait, on ne sait pourquoi, un pruneau mûr et un peu blet qui commencerait à se recouvrir de moisissures duveteuses. Il grattait sans cesse ses petites dents blanches avec au cure-dents pointu ; ses petits yeux ronds et verdâtres souriaient ; sa voix avait une expression amicale et douce.

— Il est très poli ! racontait la mère au Petit-Russien. Il sourit constamment. Ce n’est pas bien, selon moi… Quand on est général et qu’on s’occupe de pareilles choses, on ne devrait pas ricaner ainsi…

— Oui ! oui ! reprit André. Ils sont gentils, aimables, ils sourient toujours. On leur dit : Voyez cet homme intelligent et honnête, il est dangereux pour nous, pendez-le donc. Ils sourient et pendent l’homme puis ils se remettent à sourire…

— Celui qui est venu perquisitionner valait mieux, il était plus simple ! reprit la mère. On voyait du coup que c’était une canaille…

— On dirait que ce ne sont plus des hommes, mais des marteaux, des instruments pour assourdir le peuple. Ils servent à nous façonner pour que nous soyons d’un usage plus facile pour le gouvernement. Ils ont été eux-mêmes accommodés à la main qui nous dirige ; ils peuvent faire tout ce qu’on leur ordonne, sans réfléchir, sans demander pourquoi.

— Quel ventre il a !

— Oui !… Plus le ventre est plein, plus l’âme est vile…

…Enfin, l’autorisation fut accordée à Pélaguée. Le dimanche venu, elle se rendit au greffe de la prison et s’assit modestement dans un coin. Il y avait d’autres visiteurs dans la pièce étroite et sale, au plafond